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Comment challenger les pratiques de transformation organisationelle par le design de service ?

Les pratiques courantes de transformation organisationnelle souffrent parfois d'approches descendantes sans mesurer l’importance d’impliquer les usagers dans les projets de changement. De l’autre côté la méthode du design de services vise à concevoir des dispositifs sur-mesure en immersion au plus près des usagers pour répondre à leurs besoins. Combiner les deux méthodes conduit à réduire le risque d'échec des démarches de transformation et facilite la conduite du changement.

Dans ses travaux fondateurs sur l’innovation, Schumpeter (1939) dissocie l’innovation des produits, des procédés et des marchés. Il explique que l’innovation des procédés transforme en profondeur les modalités de travail et d’organisation à l’intérieur des firmes. Dans notre contexte actuel, où l’essentiel des emplois provient d’une activité de service, c’est l’appropriation des nouvelles méthodes au sein de l’organisation qui permet de discerner si une innovation débouche réellement sur un changement transformateur. Norbert Alter, théoricien français de l’innovation organisationnelle, fait écho à cette appropriation en ces termes : “l’innovation est l’appropriation par le corps social de l’invention en question, les inventions doivent donc venir du corps social concerné pour qu’elles puissent être appropriés en innovation.” Gary Hamel, spécialiste du conseil en stratégie et professeur à la Harvard Business School, défend que, pour être performant dans la durée, il ne suffit pas d’innover au niveau des produits, des services et des processus mais qu’il s’agit d’innover aussi au niveau de l’organisation et des pratiques de management.

Les démarches de transformation organisationnelles sont indispensables pour réunir les conditions nécessaires à l’implantation durable d’un changement dans une organisation, cependant, celles-ci souffrent souvent d’approches descendantes, menées parfois par des professionnels qui ne mesurent pas l’importance d’impliquer les usagers dans les projets de changement. Alors, comment challenger les pratiques de transformation organisationnelle ?

I. Méthodes de transformation

L’approche courante de transformation organisationnelle

L’approche traditionnelle d’un consultant en transformation organisationnelle est souvent contrainte par trois facteurs : le coût du projet, le temps imparti et la qualité attendue. Les méthodes varient en fonction des sujets mais se structurent autour d’une chronologie similaire :

1. Réception de la commande

La commande exprimée provient souvent de la direction ou du niveau managérial de l’organisation en question. Elle reflète le point de vue d’une partie des parties prenantes concernées par le sujet : le niveau décisionnel. Il arrive que le consultant questionne le commanditaire pour obtenir davantage d’informations sur le détail de la commande mais celle-ci est très rarement requestionnée dans sa pertinence. Il n’y a généralement pas d’instance ou de moment ritualisé propice à la qualification de la commande entre les commanditaires et l’équipe de consultant. Le périmètre d’intervention et les objectifs principaux sont tout de même fixés en accord avec le commanditaire.

2. Diagnostic

L’étape du diagnostic est une analyse profonde des facteurs ayant une influence sur la problématique. Celle-ci s’effectue souvent à distance à l’appui de documents communiqués par le commanditaire ou recherchés par les soins du consultant (benchmarks, études de marchés, retours clients…). Le diagnostic se structure traditionnellement de manière chronologique. De nombreux outils d’analyse organisationnelle sont à disposition, leurs usages varient en fonction de la problématique étudiée.

Dans le cas d’un diagnostic visant à l’élaboration d’une stratégie organisationnelle à long terme, on peut retrouver la structuration suivante :

  1. Étude de l’environnement externe de l’organisation au niveau macro via analyse PESTEL (prise en compte des facteurs Politiques, Économiques, Sociologiques, Technologiques, Environnementaux et Légaux)
  2. Étude de l’environnement externe de l’organisation au niveau micro via le modèle des cinq forces de Porter. Ce modèle permet de déterminer l’intensité concurrentielle à laquelle l’organisation fait face. Chaque force se voit attribuer une note représentant une part d’intensité concurrentielle.
Schéma des Cinq forces de Porter : menace des nouveaux entrants, pouvoir de négociation des fournisseurs, menace des produits de substitution, pouvoir de négociation des clients, intensité concurrentielle
  1. Étude de l’activité interne et détermination des Domaines d’Activités Stratégiques (DAS) porteurs d’avantages concurrentiels via la chaîne de valeur de Porter.
Schéma de la chaîne de valeur de Porter. Les activités de soutien sont l’infrastructure de l’entreprise, la gestion des ressources humaines, le développement technologique et les achats, elles sont organisées en ligne. Les activités principales sont la logistique externe, les opérations, la logistique interne, la commercialisation et les services, elles sont organisées en colonne. Toutes les activités entraînent de la marge
  1. Qualification des avantages concurrentiels identifiés via la matrice VRIO (l’avantage est-il créateur de Valeur, Rare, Imitable, Opérationnable)
  2. Synthétisation des données récoltées en matrice Forces Faiblesses Opportunités Menaces

3. Préconisations

Élaboration d’un scenario de transformation a minima, c’est à dire utilisant le minimum de ressources possibles; et d’un scénario a maxima, réunissant toutes les conditions favorables. Formulation d’un plan d’action divisé en phases pour rendre actionnable les scénarios de transformation.

4. Accompagnement à l’implémentation du changement préconisé

Dans tout projet de transformation, il est nécessaire d’accompagner l’appropriation par les parties prenantes du changement en question. John Kotter, théoricien de renom de la conduite du changement a partagé un modèle en huit étapes appelé “roue de Kotter” :

  1. Créer l’urgence pour démontrer le besoin d’adopter le changement.
  2. Former une communauté de quelques personnes prêtes à tester le changement en repérant les individus prêts à expérimenter, puis en expérimentant sur de petits projets atteignables et enfin en partageant en public les effets constatés (stratégie bottom-up).
  3. Créer une vision à long terme pour clarifier les avantages du changement prévu.
  4. Communiquer la vision.
  5. Lister les quick-wins atteignables rapidement dans le projet.
  6. Atteindre le premier quick-win pour obtenir un premier résultat.
  7. Partager le premier résultat.
  8. Ancrer le changement dans les pratiques à long terme des collaborateurs.

Les limites des méthodes traditionnelles de transformation organisationnelle

Le modèle partagé précédemment repose sur un principe global : conceptualiser l’entièreté d’un projet de transformation depuis la commande exprimée (point A) vers une situation idéale (point B) et recommander un plan de transformation du point A au point B. Cependant, cette approche ne garantie en rien que :

  • la capacité réelle de l’organisation à s’approprier le changement
  • la réponse apporté correspond bien à un besoin exprimé par l’ensemble des parties prenantes, et donc pas seulement à un besoin exprimé par les commanditaires

C’est pourtant souvent la posture adoptée lors des pratiques de consulting : les praticiens ont tendance à proposer des solutions rapides et opérationnelles mais sans se rendre compte que ces solutions ne répondent pas dans les faits à la véritable problématique. La mise en œuvre de “bonnes pratiques” ou de produits tout faits qui fonctionnent dans d’autres organisations suscite peu l’engagement des collaborateurs de l’organisation ciblée.

La posture “lointaine” de consultant qui travaille en chambre sans forcément aller observer les sujets au plus près du terrain peine à raisonner avec les besoins réels des personnes concernées par le projet. Les solutions qui ne sont pas coconstruites et qui proviennent de l’externe ont beaucoup moins de chances d’être adoptées par les collaborateurs. On se retrouve alors avec des projets beaux sur le papier mais difficiles à incrémenter dans la réalité.

De plus, mener un projet de transformation sans questionner la commande initiale est dangereux. La posture de consulting traditionnelle incite trop souvent à aller directement aux solutions, sans prendre le temps de retravailler la problématique de départ avec les parties prenantes du sujet. Le consultant s’expose alors à un biais de focalisation sur l’objectif formulé par le commanditaire au détriment du besoin réel exprimé sur le terrain. L’actionnabilité réelle du projet de transformation par les équipes est rarement prise en compte.

Enfin, l’approche organisationnelle incite parfois à délivrer aux commanditaires les livrables uniquement en fin de mission : cela introduit un risque de rejet complet d’une démarche qui aurait été menée dans son entièreté là où des livrables partiels livrés tout au long du projet permettent de corriger la démarche en cours de route. Les sciences du management incitent peu à se tourner vers des preuves de concepts tangibles, qui sont pourtant une opportunité réelle de fédérer les équipes autour d’un changement :

On nous apprend à valoriser les idées au-dessus de l’action, les choses spirituelles au dessus des choses matérielles, le conceptuel au-dessus du pragmatique et la logique au-dessus de l’intuition.

BORJA DE MOZOTA, Brigitte. Quarante ans de recherche en design management : une revue de littérature et des pistes pour l’avenir. Sciences du design n°7 : Design Management. Presses Universitaires de France, 2018, p.28-45

Le design de services, qu’est-ce que c’est ?

Le design de services est une approche qui consiste à concevoir en plaçant au centre le besoin des usagers. La discipline s’appuie sur une méthode itérative, basée sur la collaboration, constituée en double diamant :

Schéma de la méthode du design de services en double diamant : immersion, affinage de la problématique, co-création, prototypage, test. Toutes les étapes impaires entraînent une ouverture et toutes les étapes impaires entraînent un resserrement.
  1. Immersion : récolte des données en lien avec la problématique au plus près des parties prenantes (interviews, persona, parcours utilisateur)
  2. Affinage de la problématique : travail en chambre d’analyse des données récoltées, affinage possible de la problématique de départ en fonction des données récoltées, identification des axes de travail pouvant répondre à la problématique
  3. Co-création : en collaboration avec les parties prenantes, plusieurs propositions concrètes sont imaginées pour répondre aux pistes de travail. Le but n’est pas tant de générer des idées mais surtout d’inclure les parties prenantes au cœur du processus de conception (storyboard, mindmap…)
  4. Prototypage : conception à échelle réduite d’une preuve de concept, testable à moindre coût (scénario d’usage, wireframe, A/B testing…)
  5. Test : l’expérimentation permet de tester la viabilité des prototypes avant de les déployer à grande échelle. L’erreur fait partie intrinsèque de la méthode, le but est de confronter le prototype à la réalité du terrain et de l’affiner en fonction des constats.

La méthode est itérative, il est donc possible de retourner à une étape précédente si besoin. Elle est aussi adaptable en fonction des contextes, il s’agit avant tout d’une démarche à adopter plutôt que des règles fixes à suivre.

La grande force de la méthode repose sur plusieurs fondamentaux :

  1. L’obsession de l’usage : la valeur apportée aux utilisateurs est centrale tout au long de la démarche. La collaboration en continu avec les usagers permet de s’assurer que le projet répond à la problématique et s’adapte aux ajustements repérés sur le terrain. Les projets design ont ainsi très peu de chances de dévier de le problématique visée et ils atterrissent toujours en une preuve de concept actionnable. C’est un garde-fou pour mener des projets concrets et appropriables.
  2. Le questionnement de la commande : en avant-projet, la problématique de départ est systématiquement requestionnée avec les porteurs de projet. Le but est d’accompagner les commanditaires à formaliser des besoins non-exprimés lors de la sollicitation. Le but est également de qualifier le besoin pour comprendre ce que contient la commande, dans quel contexte elle s’inscrit, par qui et comment elle est portée, ainsi que les moyens qui risquent d’être requis pour y répondre. En bref, l’idée est de basculer du “Comment allons-nous faire ?” au “Pourquoi le faisons-nous ?”. Cela permet de s’assurer que les porteurs de projet prennent en compte les éléments englobants la demande (contexte, causes, usagers, impacts…) et partagent entre eux la même vision du problème. Cela permet également de mesurer si l’utilisation du design de service est pertinente ou non à la vue du problème. Concrètement cette étape peut prendre la forme d’une séance d’échange à base de multiples “Pourquoi ?”. Souvent la problématique s’élargie à l’issue de l’échange.
  3. La méthode essai-erreur : porter une culture du « faire » et des solutions sur-mesure plutôt qu’une culture du rapport de préconisation garantie l’appropriation du projet et l’ancrage dans la réalité.
  4. La frugalité : plutôt qu’une contrainte, se forcer à penser avec des moyens limités pousse à optimiser les ressources consacrées au projet et à se tourner vers des solutions pragmatiques.

Les limites des méthodes de design de service en milieu organisationnel

Le design de services en milieu organisationnel apporte également ses limites :

  • peu de prise en compte des marges de flexibilité réelles de l’organisation concernée : comités de pilotages, formalisme des procédures, méthodes figées, culture de l’organisation, résistance au changement…
  • sous-estimation de l’impact des orientations du top management sur les réalités du projet.
  • pas d’analyse des composantes organisationnelles telles que les modes de décision, les instances de pouvoir, l’inertie organisationnelle ainsi que la capacité réelle des équipes à faire vivre la transformation.
  • la méthode du design de services est peu habituée aux contraintes de temps, de rentabilité et de concurrence.
  • un fonctionnement peu compatible avec le mode projet : difficile d’établir des indicateurs de suivi certifiant que le projet ne va pas dans le mur.

Le manque d’intérêt et même quelquefois le rejet par les designers du management et de la mesure de la valeur de leur activité. Or, en gestion, pour exister et être tangible, il faut mesurer. Dans la pratique, les designers auront tendance à se méfier du pouvoir des chiffres et à critiquer le business vu comme la seule recherche du profit à court terme.

BORJA DE MOZOTA, Brigitte. Quarante ans de recherche en design management : une revue de littérature et des pistes pour l’avenir. Sciences du design n°7 : Design Management. Presses Universitaires de France, 2018, p.28-45

On se retrouve alors avec des projets de design de service certes ancrés dans la réalité et actionnables mais qui ne sont pas viables sur le long terme ou alors qui n’entrent pas en cohérence avec les objectifs et la stratégie de l’organisation.

II. Doctrine : de la prédiction à l’expérimentation

Le management est généralement orienté vers les questions d’efficience, là où le design se tourne vers celles touchant à la conception créative.[…] Pourtant, les approches centrées sur la gestion de l’innovation et des connaissances tendent à montrer qu’elles ne s’opposent pas nécessairement. Ainsi, l’activité innovante, génératrice de savoir, est souvent à la source d’une plus grande efficacité. Mais aussi, une approche trop centrée sur les indicateurs d’efficacité est une approche planant au-dessus du réel sans en comprendre les enjeux. En fait, le design et le management, tel que chacun devrait être exercé, se rencontrent dans leur approche concrète.

BLUM, Guillaume; COVA Véronique. Le design management en discussion. Sciences du design n°7 : Design Management. Presses Universitaires de France, 2018, p.21-27

Prédire et planifier est une partie essentielle des sciences du management. Nous budgétisons, planifions les ressources, établissons tâche par tâche le découpage du projet… avec la certitude que l’on peut prédire en partie le futur. Cependant, avec des environnements changeant de plus en plus rapidement, il devient difficile de prédire précisément le résultat d’un projet. Les organisations bénéficient-elles d’années pour réfléchir à des changements de positionnement ? Les opérations de transformation ne se doivent-elles pas d’être rapides pour réagir à la concurrence ?

De plus, l’approche du consultant qui se contente de suggérer un ensemble de recommandations à atteindre sans accompagner, au moyen d’une posture collaborative, son “client” ne répond plus aux besoins des organisations. Car le consultant n’aura jamais :

  • la vision complète de ce sur quoi travaille l’organisation
  • une compréhension totale du temps que prendra une mission et de ses dépendances
  • l’assurance que les ressources vont être réellement affectées face à ses préconisations

Les consultants ont tendance à proposer des solutions rapides et opérationnelles mais sans se rendre compte que ces solutions ne répondent pas dans les faits à la véritable problématique. Ils mettent en œuvre leurs idées trop rapidement, pour ensuite réaliser qu’elles ne sont finalement pas pertinentes, et repassent du temps facturé à retravailler sur cette même solution pour essayer de la rendre plus adaptée.

MARCHAL, Aurélie citant Julia SCHAEPER qui présente un projet de transformation du secteur de la santé, par le design, du NHS (Sécurité Sociale britannique). Innovation organisationnelle & transformation managériale par le design thinking. Paris : CreateSpace Independent Publishing Platform, 2011, p.10

Ainsi, face à l’imprévisibilité des projets et à un focus trop axé “solution” il est nécessaire :

  • d’adopter une approche d’adaptation en continu
  • de passer de la culture de la “recommandation” à la culture du “faire”
  • d’anticiper, dès la réception de la commande, l’appropriation concrète de la transformation

Cette approche dynamique peut tirer son inspiration dans des approches telles que le mode produit et le design de services.

Pourquoi s’inspirer de l’approche “mode produit” pour mener un projet de transformation organisationnelle

Regardless of where you sit in an organization, if you’re in a role that owns a project or program of any type (or a piece of one), you are working on a product. Your customers might be your coworkers, and you probably call your product development lifecycle a change management or project management framework. But regardless of how you describe it, your work still involves picking, designing, testing, and launching something for someone else to use. Kind of sounds like product development, no?

LOWE, Kristen. Everyone is Building Something. Extrait de la newsletter Work Bravely. 2024. [consulté le 20 Juin 2024].

Dans le secteur de la transformation organisationnelle, nous sommes peu habitués à considérer l’objet de notre travail comme un produit. En effet, que ce soit à travers un cycle de développement de projet, un diagnostic ou un plan d’action stratégique, la posture commune est plutôt celle d’un travailleur de la connaissance Le terme travailleur de la connaissance désigne un employé dont le travail consiste à développer et utiliser du savoir en back office plutôt que de produire des marchandises ou des services. Celui-ci est apparu en premier dans l’ouvrage The Landmarks of Tomorrow (1959) de Peter Drucker ‘knowledge work’ qui analyse et qui confronte peu ses projections au terrain. Pourtant, adopter le mode produit confère de nombreux avantages à un projet, et c’est ce que nous allons détailler ci-dessous. Mais qu’est-ce que le mode produit ? Marty Cagan, un des premiers théoriciens du mode produit explique que l’approche “produit” repose sur une fondation essentielle : pour construire quoique ce soit qui apporte de la valeur il faut en découvrir beaucoup sur la personne pour laquelle vous construisez. Il est nécessaire de tester les idées afin de séparer les idées bonnes des mauvaises avant d’engager le premier effort de production. Il reproche au modèle de gestion de projet traditionnel en cascade de placer la validation de l’usager beaucoup trop tard dans le processus du projet, ce qui a pour conséquence d’entraîner soit une validation totale ou un refus total du produit par l’usager. L’usager peut être n’importe quelle personne destinée à utiliser les fruits du projet : des collègues, un département, des fournisseurs, des clients…

Envisager un projet de transformation organisationnelle sous l’approche produit permet de centrer l’approche sur le besoin réel des parties prenantes. En définissant les causes du problème avec les personnes concernées via des méthodes de co-construction, l’approche adoptée vise un but concret plutôt que la complétude d’un plan de conduite de projet, et il est bien plus probable que la solution soit utile. Même constat pour les livrables : les placer le plus tôt possible entre les mains de leurs usagers réels, même lorsqu’ils ne sont que peu aboutis, permet de s’assurer qu’ils répondent bien au besoin, et si ce n’est pas le cas un retour en travail en chambre avec les données récoltées issues du test permet de procéder aux corrections nécessaires.

Those approaches often look like something I learned the uselessness of when trying to benchmark org structures. When I began planning the reorg, I started with what felt like the intuitively correct first step: looking up other companies’ org structures. Two pizza rules, squad models, functional reporting structures… there is no shortage of org inspiration to be found. Naively, I inhaled information about all of them, trying to find a blueprint for structuring my own org. In short, I followed the all-too-common pursuit of trying to find a “best practice.”[…] While it’s likely true that whatever “best practice” looks like in your industry is working for somebody somewhere, it is a dangerous telos for a builder. What works perfectly in one company can be a disaster in another. Even within one company, what works one year might not work the following.

LOWE, Kristen. Everyone is Building Something. Extrait de la newsletter Work Bravely. 2024. [consulté le 20 Juin 2024].

Également, en tant que praticiens organisationnels, nous passons beaucoup de temps à benchmarker et à scruter les “bonnes pratiques” d’organisations similaires à la nôtre en pensant qu’implémenter la même solution répondra à notre besoin organisationnel. Cette approche est questionnable car ce qui fonctionne pour une organisation similaire peut causer des désastres dans une autre.

Voici quatre grands principes de l’approche produit que l’on peut adopter pour renforcer la pertinence d’un projet de transformation organisationnelle :

  1. Toujours commencer un projet en questionnant et en définissant clairement le problème que l’on essaie de solutionner
  2. Faire de la compréhension fine de l’usager une fondation pour construire le projet
  3. Pour améliorer quelque chose, il est nécessaire de le placer entre les mains de l’usager le plus tôt possible
  4. L’itération est la clé : il est essentiel de présenter des premières versions non abouties du produit pour ajuster et construire en fonction du retour des usagers

Pourquoi est-il décisif d’impliquer les usagers tout au long des projets de transformation ?

Lors d’un projet, des décisions irréversibles sont prises. Les arbitrages jalonnent l’avancée du projet et réduisent progressivement le capacité d’action sur celui-ci. Christophe Midler, un chercheur en sciences de gestion a représenté la dynamique projet de cette façon :

Schéma de la dynamique de la situation projet : en ordonnée gauche le niveau de capacité d’action sur le projet, en ordonnée droite le degré de connaissance du projet, en abscisse le déroulement temporel du projet. On observe que la capacité d’action diminue au fur et à mesure de l’avancée du projet tandis que c’est le contraire pour le degré de connaissance du projet

Plus le projet avance, plus la connaissance de celui-ci s’affine mais plus les marges de manœuvre se réduisent à cause des ressources déjà utilisées. L’enjeu est donc d’impulser une démarche participative avec les usagers en les impliquant à chaque étape du projet et surtout en début de projet de façon à fiabiliser la prise de décision. Cette approche aura pour effet de :

  1. Capitaliser sur l’expérience, le savoir-faire et les connaissances des usagers
  2. Sécuriser les prises de décision
  3. Favoriser l’appropriation du projet par les équipes
  4. Éviter la posture de sachant en se plaçant dans une posture d’apprentissage

Quelle valeur le design de service peut-il apporter aux méthodes organisationnelles ?

Le design de services apporte une méthodologie structurée qui place l’usager au cœur du projet mais surtout la méthode permet de s’assurer que le projet ne dévie pas de la problématique visée et s’ajuste aux éléments repérés sur le terrain. Les preuves de concepts actionnables en milieu de projet permettent de fédérer les parties prenantes autour d’une vision commune et facilitent grandement la conduite du changement nécessaire pour que les cibles s’approprient les livrables.

Implémenter des éléments de l’approche du design de services aux méthodes courantes de transformation organisationnelle aura pour effet de :

  1. Ancrer les concepts organisationnels dans la réalité des attentes des usagers.
  2. Le design s’efforce de caractériser les usages, les expériences, les préférences. Il est par nature centré sur l’utilisateur et il a pour mission d’organiser ses solutions autour des individus et non pas autour des systèmes. Par opposition, l’innovation traditionnelle, qui historiquement et culturellement vient du monde des ingénieurs, s’organise autour des produits et des process. Les organisations actuelles ont plutôt tendance à être organisées autour d’elles-mêmes et à auto-justifier le système. Le design leur permettrait de réorganiser leur système autour des individus (c’est-à-dire des consommateurs et des salariés) pour le rendre plus pertinent et donc efficace.

    MARCHAL, Aurélie. Innovation organisationnelle & transformation managériale par le design thinking. Paris : CreateSpace Independent Publishing Platform, 2011, p.83

  1. Étendre le modèle de performance à un modèle qui prend en compte les indicateurs soft propres à l’expérience (impact sur les clients et les équipes, modification des processus et systèmes) en plus des indicateurs hard habituels en sciences de l’organisation (nombre d’incidents, taux de retour, ROI).
  2. Les entreprises ont une mission, une vision stratégique et des portfolios mais ce sont aussi surtout des systèmes humains complexes dans lesquels les compétences du designer pour observer, simplifier et rendre cohérent se révèlent très utiles.

    BORJA DE MOZOTA, Brigitte. Quarante ans de recherche en design management : une revue de littérature et des pistes pour l’avenir. Sciences du design n°7 : Design Management. Presses Universitaires de France, 2018, p.28-45

  3. S’assurer que la commande reflète bien les aspects profonds du problème grâce au questionnement de la problématique en avant-projet.
  4. Réduire considérablement le risque de mener tout une démarche projet pour au final s’apercevoir que les cibles ne s’emparent pas du changement grâce aux immersions au plus près du terrain.
  5. Faciliter la conduite du changement grâce au prototypage qui fournit une base tangible pour provoquer le changement dès les débuts du projet. La clé au renouvellement de la posture de consultant est d’aider les idées, stratégies et recommandations à prendre vie. Et pour cela le prototypage est un excellent moyen d’accrocher une dynamique collective et de cultiver l’approche du “show don’t tell”.
  6. Faciliter l’appréhension et la compréhension des intentions et des concepts. En concrétisant une vision partagée à laquelle se référer, le prototype permet l’alignement des parties prenantes et place les contributeurs sur un même niveau d’information. Sur un plan plus opérationnel : le prototype permet la mesure et l’analyse. Il peut révéler un second niveau de questionnement qui n’était pas apparu lors de la phase d’immersion. Enfin, le prototype permet de se confronter à la réalité en matière technique : les différentes briques organisationnelles sont-elles adaptées en matière de synchronisation des équipes, partage des informations, interopérabilité ?

III. Combiner les méthodes de transformation organisationnelle et de design de services.

Les deux méthodes ont tout à gagner à se complémenter :

  • Le contexte organisationnel fait la différence : les designers de service gravitent avant tout autour de l’expérience. Aussi, designer un changement organisationnel à partir d’immersions et d’études terrain est important pour placer l’expérience de l’usager au centre mais si l’on souhaite que le changement organisationnel soit pérenne, en phases avec les enjeux de l’organisation et porte ses fruits sur le long terme, il est indispensable de prendre en compte les capacités et limites de l’organisation.

Il conviendrait par conséquent d’observer de manière plus approfondie les arrangements déjà existants, les rapports sociaux établis, la manière dont les tâches sont effectuées réellement.

MARCHAL, Aurélie. Ibid.p.65

  • Des résultats tangibles dès le début du projet : l’approche du design repose beaucoup sur la notion de Minimum Viable Product Aussi appelé MVP, il s'agit d'une version d’un produit avec juste assez de fonctionnalités pour être utilisable par les premiers usagers qui peuvent ensuite retourner leurs observations pour améliorer le produit . Délivrer une proto-réponse en début de projet et itérer en fonction des retours des usagers permet de contrer l’approche traditionnelle des sciences managériales qui consiste à délivrer un livrable clivant en fin de projet que les usagers ne peuvent qu’accepter ou refuser. En fusionnant les deux méthodes on crée un changement sur-mesure plus facilement appropriable par les cibles.

Le prototypage a un fort pouvoir fédérateur, particulièrement lors de la co-conception. Il est créateur et porteur de sens pour les gens qui l’ont conçu, mais aussi pour ceux à qui il s’adresse et qui le comprennent, ce qui peut être un atout dans le cadre de la gestion du changement

MARCHAL, Aurélie. Innovation organisationnelle & transformation managériale par le design thinking. Paris : CreateSpace Independent Publishing Platform, 2011, p.86

  • Des insights frappant à partager qui engagent l’organisation : pour impliquer les parties prenantes dans le changement organisationnel on a besoin à la fois de “quick win” atteignables rapidement propres aux méthodes de conduite du changement mais aussi de concepts visuels et prototypes testables propres au design. Cela permettra de convaincre les commanditaires de la pertinence du projet, de donner de la matière aux actionnaires, et construire de la confiance au sein des équipes grâce à une vision fédératrice.
  • Les solutions viennent de l’interne : plutôt que de concevoir de zéro une solution, on s’appuie avant tout sur l’existant et sur les ressources internes. Cela correspond à la notion “d’innovation frugale” propres aux méthodes de management de l’innovation. Cela aura pour résultat de créer des solutions plébiscitées en interne par les collaborateurs.

Le développement d’une innovation ne repose pas sur la qualité intrinsèque des inventions mais sur la capacité collective des acteurs à leur donner sens et usage. […] Les inventions doivent venir du corps social concerné pour qu’elles puissent être transformées en innovation.

MARCHAL, Aurélie. Ibid.p.65

  • Donner du temps à l’organisation pour s’approprier les changements : selon la perspective des designers la solution peut-être conçue et délivrer en quelques mois, néanmoins il faut du temps à l’organisation pour s’approprier ces changements, et il est nécessaire d’accompagner les équipes. Il faut donc découper la solution en morceaux de petites tailles et les mettre en place progressivement pour laisser le temps à l’organisation de se préparer à implémenter le prochain morceau de solution.

En deux mots : l’enjeu principal est de designer un changement et de réunir les conditions nécessaires pour qu’il puisse être implémenté par les décideurs puis approprié par les cibles dans l’organisation. Le but étant d’ancrer le concept designé dans les réalités de l’entreprise. L’idée n’est pas de limiter la création de concepts innovants mais d’engager le management et le niveau opérationnel avec des changements qui soient atteignables et qui fassent sens pour l’organisation.

La méthode combinant approche organisationnelle et design de services

Voici la méthode combinant approche organisationnelle et design de services que je propose.

La redéfinition de la problématique : une recherche de la pertinence

Les commanditaires font parvenir une sollicitation avec les principaux éléments de contexte et une première ébauche de problématique. Une séance de questionnement de la problématique est systématiquement menée avec le(s) commanditaire(s), son but :

  • affiner la problématique
  • approfondir les éléments de contexte
  • vérifier que la méthode est adaptée pour répondre au besoin

A l’issue, une séance de cadrage est menée :

  • décryptage de l’approche
  • présentation d’un premier retroplanning synthétique de l’intervention et des instances décisionnelles
  • identification avec le commanditaire des usagers à impliquer dans la démarche
  • définition des rôles de chacun dans l’équipe projet
  • formalisation de la collaboration au moyen d’un document d’engagement réciproque (situation initiale, objectif à atteindre, livrables, rôles, instances, ressources, risques, premiers indicateurs de suivis identifiés) qui fera figure de document de référence tout au long du projet

Immersion

Le praticien se rend sur le terrain pour deux raisons :

  • discerner si le besoin soulevé par la commande se vérifie et s’affine sur le terrain
  • récolter des enseignements afin de prioriser les orientations futures

Il a à sa disposition différentes approches :

  1. Recueil des contributions dans des discussions avec les usagers via des entretiens (grille d’entretien, grille d’analyse).
  2. Définition de l’usager type (persona).
  3. Observation via une immersion in-situ.
  4. Modélisation des flux de processus de travail existants dans le département concerné (diagramme de flux, transformation des inputs en outputs via trigger-condition-action).
  5. Cartographie des personnes et des interdépendances organisationnelles (Qui travaille avec qui ? Qui a besoin des données de qui ? Qui a besoin de la validation de qui ? Mise en valeur des interdépendances entre personnel, ressources, clients, services).
  6. Identification des points clés organisationnels (mode de prise de décision, cycle budgétaire, gouvernance, mode de partage de la connaissance).
  7. Collecte des données organisationnelles du département (quantification du temps passé sur chaque type de tâche, budget, taux de rotation des employés, benchmark, étude de marchés, feedback clients…).
  8. Estimation de la capacité à changer pour le département (niveau d’implication des managers dans le projet, identification des ressources allouées au changement, incitations des collaborateurs à mettre en œuvre le changement).
  9. Représentation du parcours client via User Journey, mise en scène via maquette (jouets, briques de construction).

A l’issue de l’immersion, le praticien analyse en chambre les données récoltées.

Instance décisionnelle : Une instance est organisée avec les commanditaires pour leur présenter les enseignements de l’immersion, l’éventuel affinage de la problématique initiale et les premières pistes de travail décelées.

Livrables : Synthèse des données clés de l’organisation, de l’enseignement issu des immersions, des problématiques identifiées et définition des axes de travail.

Co-création

Le praticien imagine et définit, en co-construction avec un panel de parties prenantes Je parle bien ici de parties prenantes et non pas d’usager pour inciter à incorporer des cibles non-usagères issues du département (chef de service, toute personne qui a une influence sur la partie d’organisation) , les propositions concrètes pour répondre aux pistes de travail identifiées à l’étape précédente. Le but n’est pas tellement de générer des idées mais plutôt d’impliquer les parties prenantes dans le processus et surtout de sélectionner tous ensemble la meilleure approche à adopter.

Il a à sa disposition différentes approches :

  1. Mindmapping des associations d’idées et des concepts pouvant répondre à la problématique puis tri et vote
  2. Brainstorming collectif
  3. Diagramme des causes (dissocier les causes des symptômes du problème, identifier les facteurs contributifs)
  4. Atelier de créativité collectif

A l’issue de l’idéation, un ou plusieurs grands axes de travail sont sélectionnés.

Instance décisionnelle : présentation des pistes de solutions imaginées pour répondre aux axes de travail ainsi que les freins qu’ils tentent de résoudre, validation ou non des propositions par l’instance.

Livrables : Synthèse des pistes de solutions imaginées.

Prototypage

On conçoit à moindre coût une version initiale d’une solution identifiée : le prototype.

Le prototype est à construire sur-mesure en fonction des étapes précédentes mais on pourrait imaginer par exemple :

  1. La construction d’un pilote. Celui-ci se distingue du prototype en se dotant d’une capacité de suivi et d’évaluation continue. Par exemple, un scénario de passage à une organisation matricielle assorti d’une mise en situation pour estimer l’impact sur le temps de réponse aux inputs des clients, la modification des flux d’informations, les modifications à apporter au système d'informations… Le pilote devrait être conçu dans le but de tester le changement mais surtout de comprendre les gap organisationnels avec les processus actuels, les équipes et les systèmes en interaction. Une bonne pratique est de proposer plusieurs scénarios : (1) Un scénario d’évolution qui redéfinit principalement les périmètres. On est plutôt dans une clarification. (2) Un scénario de rupture qui reconstruit les périmètres de façon distinctive. Cela a pour but de permettre aux décideurs d’explorer les frontières des croyances de l’organisation et de leur faire prendre conscience de ses limites actuelles.
  2. La modélisation et la création d’une base de données centralisant les données nécessaires au département
  3. Le logigramme d’un nouveau workflow d’attribution des tâches
  4. La mise en scène d’une nouvelle approche front-office pour dynamiser l’expérience client via une maquette en jouets mobiles utilisable par les employés occupant actuellement les positions représentées

Pour le prototype conçu on systématise plusieurs pratiques issues des sciences managériales :

  • Définition des critères de succès/d’échecs du test à venir
  • Estimation du coût de mise en place du pilote
  • Définition d’une échelle de temps fixe pour l’expérimentation
  • Définition des indicateurs de suivi qui fixent les conditions d’expiration de l’expérimentation (au bout de … jours si… alors on stop l’expérimentation)
  • Conception d’indicateurs d’impacts mesurables qui prouvent que le prototype apporte réellement un changement

Instance décisionnelle : présentation des prototypes et mise en lien avec les freins qu’ils tentent de résoudre, mise en valeur des indicateurs qui confirment/infirment que le prototype lève les freins, détail des raisons qui ferait que l’objectif visé par le prototype pourrait ne pas être atteint.

Livrables : prototypes et indicateurs liés, protocole de test.

Test

Il s’agit de tester en conditions réelles mais à échelle réduite le prototype auprès des acteurs concernés.

  • Récolte des observations durant le test pour affiner le prototype si besoin (possible retour à l’étape 4. Prototypage avec les ajustements nécessaires)
  • Identification des goulots d’étranglements organisationnels provoqués par le scénario de changement. Le test permet de mettre en évidence les complexités qui seront induites par le changement. Les donnés rassemblées lors du test sont à corréler avec les KPI Indicateurs Clés de Performance fixés par les commanditaires du projet de transformation pour estimer s’il est viable de lancer le changement.
  • Estimation des nouvelles compétences, rôles, et postes requis.
  • Cartographie des changements induits sur la collaboration des employés (qui va collaborer avec qui, qui aura besoin des données de qui, qui attend la validation de qui).

La simulation organisationnelle est une des méthodes qui peut-être mobilisée. Celle-ci consiste à “faire jouer” les salariés concernés dans ce qui pourrait-être leur organisation future dans des conditions données. Cette démarche présente plusieurs intérêts :

  1. Mettre le scénario à l’épreuve du fonctionnement réel pour corriger les dysfonctionnements potentiels avant une mise en service.
  2. Identifier si le scope du changement organisationnel envisagé est assez large au regard des workflows.
  3. Permettre aux salariés d’être acteurs du changement à venir.

Instance décisionnelle : présentation des résultats du test. Les commanditaires tranchent sur la pérennisation du prototype.

Livrables : synthèse de la démarche de tests, résultats des tests, préconisations/accompagnement proposé pour pérenniser les prototypes.

Implémentation

Il s’agit de rendre atteignable pour le commanditaire la mise en place du changement sur le temps long via :

  • découpage du changement en sous-parties atteignables à échéances régulières (quick-win)
  • suivi post-projet des difficultés soulevées
  • relève des indicateurs de changement (le projet atteint-il les objectifs initiaux et est-il cohérent avec les KPI de l’organisation ?)
  • étude d’impact
  • prévoir temps de bilan avec toutes les parties prenantes pour tirer des leçons de l’accompagnement offert dans une logique d’amélioration continue

Livrables : plan de conduite du changement.

Mise en perspective de la méthode avec la réalité des organisations

La transformation organisationnelle combinée au design est une méthode longue mais celle-ci permet de s’assurer de la conversion du projet de changement en réalité en commençant l’implémentation directement avec les équipes. Accompagner les premières étapes de l’implémentation du projet au sein de la structure donne une impulsion qui permet d’initier l’ancrage du changement, charge à l’organisation de pérenniser et consolider le département impacté pour que le projet porte ses fruits sur le long terme.

De même, toute démarche d’expérimentation nécessite une contractualisation avec la structure. Celle-ci doit s’engager en amont à mettre en place un environnement propice à l’expérimentation :

  • autoriser le droit à l’échec
  • documenter les échecs comme les succès pour capitaliser sur l’expérience acquise
  • accorder aux porteurs de projets une part temporelle dédiée au projet
  • rendre visible les expérimentations en communiquant autour du projet

En mélangeant designers et praticiens de la transformation organisationnelle, un programme de transformation se base sur des fondations solides qui limitent le risque d’erreur.

Un exemple de projet d’innovation organisationnelle issu de la méthode design de services

Le projet d’innovation organisationnelle que je vais détailler a été exclusivement porté par la méthode du design de services et réalisé par Simon Cario et Elsa Portalier, tous deux designer de services au sein du laboratoire d’innovation publique de l’Etat en Pays de la Loire : Etat’LIN, ainsi que l’agence VraimentVraiment et le Labsolu, laboratoire d’innovation publique du Conseil Régionnal des Pays de la Loire.

Je n’ai malheureusement pas encore eu l’occasion de mener un projet utilisant précisément la méthode partagé ci-dessus dans le III., à savoir combinant l’approche “transformation organisationnelle” et l’approche “design de services”.

En 2022, l’Etat et la Région sollicitent le Lab’ à propos des “CLEFOP” : ce sont des instances composées d’acteurs publics de l’emploi. Elles ont pour mission de recueillir et répondre aux problématiques d’emploi que rencontrent les territoires : accompagnement en ressources humaines des entreprises ; accompagnement des jeunes et des demandeurs d’emploi; attractivité des métiers… La problématique initiale porte sur une volonté de l’État et des partenaires sociaux de dynamiser le travail local des CLEFOP.

Suite au cadrage, la problématique s’affine : l’ambition du projet est de co-construire des leviers permettant d’associer davantage les entreprises dans les actions des CLEFOP pour mieux répondre à leurs besoins. Pour ce faire les objectifs initiaux exprimés par les services métiers de l’État et de la Région sont :

  • valoriser les CLEFOP sur les territoires auprès des acteurs économiques
  • faire que les entreprises en soient davantage actrices

On est donc bien sur un périmètre d’enjeux organisationnels : comment inclure et motiver des parties prenantes à contribuer à une instance ?

Immersion

Le travail d’immersion a reposé sur :

  1. Des entretiens avec tous types de parties prenantes des CLEFOP.
  2. Une visualisation schématique du parcours de la remontée d’un besoin du terrain jusqu’à l’action mise en place par le CLEFOP pour y répondre

Les données issues de l’immersion sont analysées et synthétisées et sont présentées au commanditaire. Quatre pistes de travail sont proposées :

  1. Renforcer l’implication des entreprises
  2. Faire connaître les actions du CLEFOP aux entreprises
  3. Assurer la diffusion des initiatives CLEFOP qui fonctionnent
  4. Réorganiser les rôles et les actions au sein des CLEFOP pour obtenir plus d’impact auprès des entreprises
Schéma synthétisant les enseignements de l’immersion CLEFOP

Co-création

Un atelier collectif à distance est organisé pour :

  1. tester l’adhésion aux différentes pistes de travail issues de l’immersion
  2. se demander à quoi pourrait ressembler une proposition concrète pour y répondre
  3. recenser ce qui existe déjà sur le sujet
Capture d’écran d’un atelier de co-conception en ligne sur Miro reprenant un grand axe de travail pour faire l’inventaire des solutions pourraient y répondre

Cinq entretiens sont organisés, ceux-ci sont structurés autour d’une des quatre pistes de travail issues de l’immersion (une piste différente à chaque fois). Dans le but de :

  1. présenter ce qui existe déjà ailleurs pour répondre à la piste de travail présentée
  2. imaginer quelle forme le prototype pourrait prendre
  3. se demander à quel moment le prototype pourrait être utile
  4. identifier les conditions nécessaires pour que le test fonctionne
Capture d’écran d’un atelier de co-conception en ligne sur Miro reprenant ensemble de solutions existant ailleurs, conception et tous droits réservés Simon Cario, Elsa Portalier, Martin Delhumeau, VraimentVraiment

Un benchmark de solutions existantes dans d’autres structures est présenté :

  • un parcours utilisateur formalisant les processus d’identification et d’accompagnement des personnes en situation d’illettrisme au sein des agences Pole Emploi
  • un guide de pilotage de la communication interne d’un bailleur social
  • un guide pratique des différents formats de rencontre inter-acteur des Missions Locales

A la suite de ces ateliers, plusieurs prototypes sont envisagés pour répondre aux axes de travail.

Prototypage

Trois prototypes sont conçus :

  1. Pour répondre à l’axe de travail “I. Renforcer l’implication des entreprises” : modélisation du parcours pour parvenir à une action CLEFOP. Conception d’un nuancier “formats de rencontre” constitué de fiches méthodologiques expliquant différents outils pour capter, mobiliser, concevoir, faire le bilan.
Visualisation sous format parcours utilisateur du parcours d’une action CLEFOP
Nuancier des formats d’implication des entreprises
  1. Pour répondre à l’axe de travail : “IV. Réorganiser les rôles et les actions au sein des CLEFOP pour plus d’impact auprès des entreprises” : une cartographie des rôles et des acteurs du CLEFOP est conçue.
Cartographie des rôles et des acteurs accompagnées de fiches outils pour répartir les rôles d’intermédiaire avec les entreprises
  1. Pour répondre à l’axe de travail : “IV. Réorganiser les rôles et les actions au sein des CLEFOP pour plus d’impact auprès des entreprises” : un carnet de bord de suivi des indicateurs d’une action CLEFOP est proposé.
Quatre photographies du carnet de bord de suivi des indicateurs d’une action CLEFOP

Suite à la présentation des prototypes au commanditaire, un protocole de test cadrant les expérimentations est proposé. Celui-ci précise des premiers indicateurs d’évaluation de l’efficacité des prototypes, auprès de qui tester, quels freins lever…

Test

Les enseignements principaux de la phase de test des prototypes sont présentés au commanditaire. Une instance “d’atterrissage du projet” est organisée pour rappeler les étapes de l’accompagnement global. Un calendrier de déploiement potentiel des prototypes par les CLEFOP est proposé. Le commanditaire est ainsi incité à diffuser les outils en interne et charge à lui de conduire l’appropriation.

Conclusion

Combiner design de services et transformation organisationnelle représente un atout majeur pour les organisations. Il s’agit avant tout de réunir deux postures : la posture “haute” du consultant qui analyse, établi un diagnostic étayé, préconise des solutions et a une vision globale; avec la posture “basse” du designer qui prend ses racines en immersion sur le terrain, qui ose questionner la commande, qui construit des solutions sur-mesure en optimisant les ressources et qui développe une compréhension fine du problème à résoudre. Dans une économie de service, la qualité de service rendue est essentielle en termes de compétitivité. Aussi, repenser les points de contacts de l’organisation avec le client mais également questionner le management des personnes délivrant les services est un vecteur majeur de performance.


Bibliographie

Livres

MARCHAL, Aurélie. Innovation organisationnelle & transformation managériale par le design thinking. Paris : CreateSpace Independent Publishing Platform, 2011.Disponible gratuitement en ligne

CNAM & CODESIGN-IT. ZACKLAD Manuel, GAREL Gilles, ARRUABARRENA Béa, BERTHINIER-PONCET Anne, GUEZEL Naïk. Les labs internes : De l’innovation au design. Paris : Pluriverse Edition. 2021. Disponible gratuitement en ligne

CNAM, CODESIGN-IT, CGET(désormais ANCT) & FUTURS PUBLICS. Le Lab des Labs. 2019. Disponible gratuitement en ligne

DEPARTEMENT DE LA LOIRE-ATLANTIQUE. Construire l’innovation publique. Retour d’expérience du Département de Loire-Atlantique. La documentation Française. 2018. Disponible en vente papier en ligne

Revues

AGENCE NATIONALE POUR L’AMELIORATION DES CONDITIONS DE TRAVAIL. 10 questions sur la conduite de projets de transformation. 2017.

STEPHANE VIAL et ALAIN FINDELI. Sciences du design n°7 : Design management. Montréal & Paris : Presses Universitaires de France. 2018.

Articles

JOOST MINNAAR. Want to become agile ? Stop planning and start experimenting. 2017. [consulté le 3 Mai 2024].

MARIANNE ABRAMOVICI. Servuction revenons aux sources. 2023. [consulté le 24 Avril 2024].

MARZIA ARICO. Organisational Fundamentals for Designers. 2024. [consulté le 15 Mai 2024].

MELVIN BRAND FLU. Service transformation : service design on steroid. Initialement paru dans la revue consacrée au design de service : Touchpoint—The Journal of Service Design. 2011. [consulté le 22 Avril 2024]. Désormais disponible sur le site de Livework.

MELVIN BRAND FLU. The underestimated business impact of service design. 2014. [consulté le 23 Avril 2024]

PAVEL SAMSONOV. Design without process, or the form factor trap. 2024. [consulté le 01 Juin 2024].

SARAH DEVEREAUX. What does safe to try actually mean. 2022. [consulté le 4 Mai 2024].

Vidéos

MARCHAL, Aurélie. L’innovation et la conduite du changement par le design thinking. 2016.

MARCHAL, Aurélie. Planifier la transformation ?. 2020.

Licence

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